La chirurgie est un art…
Au début
D’abord les prises de vue au bloc opératoire d’ophtalmologie (NHC Strasbourg) à l’initiative du professeur T.Bourcier, auxquelles un chapitre de la « galerie » est consacré.
L’article sur « La vision aveugle ».
Puis le choix des illustrations de l’article « Rembrandt Photographe? ».
Enfin cette commande par le professeur C.Mathelin, chef du service de sénologie du CHU de Hautepierre (Strasbourg), et par Quantmetry, société de data-scientits, d’une exposition sur « La santé du sein à l’heure du digital/regards croisés« .
C’est donc par petites étapes inconscientes que je suis parvenu à cette conviction; photographier la chirurgie dans une recherche d’esthétisme est non seulement un plaisir, mais peut aussi contribuer à une forme de pédagogie.
Avoir « l’impression de.. » est bien beau, mais sur quoi repose cette impression? Est elle fondée? Où mène t’elle?Autant de questions qui restaient à aborder.
La chirurgie est un art
Dès le néolithique, c’est à dire 3500 Av J.-C, on a retrouvé le crâne d’une jeune fille trépanée au silex. Déjà, pour cette intervention de 14 cm x 11 cm, une habileté technique était indispensable pour assurer la survie du patient, ce qui fut le cas.
Sur le site de Buthiers-Boulancourt (Seine et marne), des fouilles bénéficiant de techniques d’imagerie médicale ont permis de révéler une amputation de l’avant bras gauche pratiquée il y a 6900 ans sur un homme âgé (l’espérance de vie était alors entre 20 et 40 ans).
Il ne s’agit pas ici de faire un abrégé d’histoire de la chirurgie, mais de poser que dès les origines, la frontière entre habileté et art est difficile à établir.
J’ai pu observer, à l’occasion de mes séances de prises de vue en bloc opératoire, que la maîtrise des gestes n’était pas uniquement technique, mais que les mains étaient bien l’aboutissement d’un processus mental mêlant expertise médicale, planification méticuleuse, leadership d’une équipe en symbiose, mais aussi le respect de l’autre.
Cette humanité est source d’une différence entre le praticien efficace et le médecin, lequel, au delà de son geste, soigne. Il sera plus qu’en visite quotidienne , mais « au chevet » de son patient avec le charisme nécessaire, mais également, « le souci de l’autre », de cet autre qui le ressent et reprendra « force et vigueur » d’autant plus rapidement.
La chirurgie, art de la vie, du maintien en vie; art parce-que besoin irrépressible d’exprimer son être profond au travers d’un mode d’expression choisi.
Photographier dans le bloc opératoire
Elles sont tellement différentes entre elles ces pièces où se jouent vie et mort, où chaque rôle, le plus modeste soit-il, contribue à la victoire de la vie.
Vastes, immaculées et pleines de soutiens technologiques de pointe, ou petites, aux murs vieillissant et dotées du nécessaire, mais juste de l’indispensable; les qualités de ces lieux, où les intervenants passeront de longues heures chaque jour, deviennent presque « accessoires » tant l’investissement de chacun est total, la concentration permanente, usante mais jamais relachée.
Pénétrer la première fois dans cet univers, c’est presque faire un saut sur une autre planète. C’est apprendre de nouveaux comportements, de nouvelles règles, de nouvelles façons de se déplacer. En résumé, c’est être complètement perdu, se dire qu’on ne parviendra jamais dans ces conditions à réaliser les photos qu’on est venu y chercher.
Et pourtant, passée cette première période déroutante, entouré, protégé par une surveillance souvent bienveillante, on tâtonne d’abord, on réussit à ne pas effleurer les tables d’instruments…Puis on améliore ses positions, on trouve des angles de vue intéressants, ce monde devient, petit à petit, familier. Et puis, dans la phase « d’éditing », on se surprend à sélectionner des photos prises dans ces premiers moments de désarroi !
Traduire sa vision d’un art n’est pas « reproduction »
Il est d’usage, s’agissant de photos d’opérations, de livrer, en couleurs lumineuses, des clichés se rapprochant le plus possible du réel observé, et cela dans des buts généralement pédagogiques ou d’illustration d’un article. Aborder le sujet dans une démarche esthétique n’est pas courant, mais on va le voir, porteur d’une autre vision de ce moment si particulier qu’est l’opération chirurgicale.
D’abord la pratique systématique du « Noir & Blanc ».
Quand on sélectionne une photo à partir de la collection de plusieurs centaines de « natives », résultat d’une séance au bloc opératoire, on la choisit compte tenu de son potentiel d’expression, d’une vision que l’on a en soi, d’une pré-voyance. Elle contient les matériaux dont on a l’intuition qu’ils seront utiles pour exprimer cette vision. Un peu comme la palette du peintre qu’il a préparée quand son oeuvre est encore en devenir.
Pas de « photo-shoping » modifiant la réalité, mais un post-traitement qui aboutit lentement, d’abord imparfaitement, puis par tâtonnements à cette vision inconsciente, au moment merveilleux où la solution « advient », un peu comme dans le principe de la découverte scientifique, qui surgit, fruit autant du travail essentiel, que de l’activité sensible du sommeil, comme l’explique Jacques Hadamard, contemporain d’Henri Poincaré, dans son merveilleux « Essai sur la psychologie de l’invention dans le domaine mathématique »(1945, Éditions Jacques Gabay).
Les encouragements si importants du professeur C.Mathelin, et du professeur T.Bourcier qui utilise certaines de ces photos de chirurgie ophtalmique robotisée pour illustrer ses publications ou articles; autant de signes que cette façon d’aborder la chirurgie peut contribuer à une « esthétique de la chirurgie« , et, ainsi, à des formes nouvelles de découverte et de compréhension de cet art.
La préparation de l’exposition à venir sur « La santé du sein à l’heure du digital » est achevée, et me pousse à approfondir cette voie.
À bientôt.
Bernard.