Pas une grande histoire, plutôt une anecdote; mais elle concerne un immense génie.
Au début, une phrase de Michel Serres saisie à la radio :
« Le bateau ivre est plein de sagesse. »
Une envie de retourner vers Rimbaud, puis d’y rechercher un rapport à la photographie.
Quelques tâtonnements, et bingo !
Plongée dans l’aventure
Il est dans cette deuxième partie de sa vie, il a 28 ans.
Une existence de voyages, de commerces variés et risqués sur le plan financier
Il met vie en danger dans sa recherche de succès commerciaux.
D’autant qu’il a choisi des pays lointains, des régions étranges, et bien souvent désertiques que sont le Harar en Abyssinie (aujourd’hui Éthiopie) et Aden (aujourd’hui au Yemen) .
Cherchant la réussite plonge dans un tourbillon de voyages incessants entre Afrique et Arabie.
Sa correspondance est digne d’un volume que Jules Verne aurait consacré à un négociant peu averti, aventurier maladroit, parfois trafiquant d’armes.
Elle en a le goût d’aventure, d’inattendu, et le naturel des sa quotidienneté.
L’appareil photographique
- -15 Janvier 1881, depuis Harar, il commande un appareil photographique « ..et vous enverrai des vues du pays et des gens. » (lettre aux siens).
- -20 octobre 1882, Aden: « une lettre de Lyon, du 20 octobre 1882 m’annonce que mon bagage photographique est acheté » (lettre aux siens).
- -16 novembre 1882, depuis Aden encore, dans une lettre aux siens, il évoque à nouveau son bagage photographique avec lequel, « quand je serai reparti en Afrique, je vous enverrai des choses intéressantes » (16 novembre 1882).
- -6 mai 1883, Harar, lettre aux siens: « il faudra que je fasse revenir de nouvelles glaces pour la photographie ».
- -24 juillet 1883, un ami, Alfred Bardey le remercie depuis la France pour les photographies qu’il lui avait envoyées, « plusieurs de vos photographies sont un peu brouillées, mais on voit qu’il y a progrès car les autres sont parfaites ».
- -14 avril 1885, dans une lettre aux siens, en pleines difficultés financières et menant une vie très difficile : « L’appareil photographique, à mon grand regret, je l’ai vendu, mais sans perte ».
De ses travaux entre 1882 et 1885, seules 6 photographies ont été découvertes
Que nous disent-elles ?
2 auto-portraits, son adjoint au milieu de caféiers, un artisan, un dôme, une vue du marché de Harar.
C’est peu mais à y regarder de plus près, on y décèle petit à petit une constante.
Pas de style, de « signature, la seule constante est justement cette absence de recherche d’unité, aussi bien dans le cadrage que dans la composition.
Comme si, là encore, Rimbaud se refusait à être classé, que ce soit dans une manière ou une forme d’adresse technique.
La photographie du Dôme qui « bouche » l’image y fait par exemple tellement contraste avec la composition classique de son adjoint dans les caféiers.
Elles sont chacune un décalé de l’autre, une recombinaison des positionnements.
Ce n’est pas un hasard.
Ces photos étaient bien destinées à former ouvrage, un projet de reportage photographique sur son aventureuse fréquentation de contrées, inconnues de la plupart.
L’exotisme serait un facteur probable de succès.
Le projet fut abandonné.
Rimbaud à la caméra
Il est fidèle à son personnage de toujours.
Ces six photos sont également une oeuvre, tout comme ses entreprises ou sa correspondance commerciale.
On y prend d’ailleurs des plaisirs aux goûts variés, mais qui ont comme une longueur en bouche due à l’explosion des convenances, des usages.
Toujours en tout ce besoin de réussir, mais dans le refus absolu, irrépressible, de toute station, du moindre figisme.
Dans Une saison en enfer, il écrivait « J’aurai de l’or… » (« mauvais sang »).
Dans cette partie anecdotique de ses activités, il continue à soumettre ses travaux, à rechercher l’approbation, le succès.
Il fournit efforts, distorsions, autant d’épices qui lui ont toujours été vitales.
Pas de repos pour celui qui chercha dans sa vie, d’abord à s’en arracher, puis à y plonger.
La vie au risque de la chute
La chute de ses illusions idéalistes de jeunesse avec la fin de son activité poétique.
Et pour ses chancelantes affaires, celle d’une mort terrible due à ses courses sans fin dans ces pays d’Aden et d’Harar, si loin…
« Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons. »
« Le bateau ivre », dernière strophe….